AA.VV.: Fribourgeois. Un dictionnaire des anonymes

Titel
Fribourgeois. Un dictionnaire des anonymes, des inconnus, des oubliés, 1840-201


Herausgeber
Société d'histoire du canton de Fribourg
Erschienen
Fribourg 2016: Société d’histoire du canton de Fribourg
Anzahl Seiten
212 S.
von
Georges AndreyGeorges Andrey

Original et remarqué comme tel par les médias, l’ouvrage en question mérite aussi l’attention de la communauté scientifique. Deux raisons à cela: une institution vouée à l’étude du passé, la vénérable Société d’histoire du canton de Fribourg, a décidé, pour ses 175 ans (1840-2015), de s’ouvrir en éditant une publication grand public, d’une part; pour l’écrire, ladite société s’est adressée à ses quelque 600 membres, d’autre part. Ces derniers ont été invités à s’activer en tirant de l’oubli l’un ou l’autre de leurs ancêtres, ou en faisant revivre quelque figure boudée par l’historiographie scientifique. Une centaine d’auteurs, dont une bonne vingtaine d’historiens et historiennes diplômés, ont répondu à l’appel et signé au total quelque 150 notices. Tous les «héros» de ce dictionnaire biographique ont vécu et sont morts entre 1840 et aujourd’hui.

Le résultat surprend sur un point : les trois quarts des personnages mis en scène sont des hommes, proportion banalement conforme aux dictionnaires traditionnels. Où est l’originalité? La lourde absence des femmes est-elle imputable au fait que, dans l’histoire fribourgeoise, celles-ci, pourtant majoritaires dans la population, seraient victimes de la pauvreté des sources documentaires? Ou encore, hypothèse plus grave, au fait que la simple condition de mère, d’épouse et de maîtresse de maison serait encore considérée de nos jours comme peu digne d’attention?

Une consolation à ce constat de carence: plusieurs Fribourgeoises fort modestes ont l’honneur d’apparaître au grand jour en dépit de la minceur des traces écrites. Un seul exemple : Anna Genoud, morte octogénaire, retient l’attention de son «petit-fils de coeur» qui a gardé un respectueux souvenir de «cette pieuse et humble personne», sacristine durant un demi-siècle d’une simple chapelle de sa paroisse. L’auteur conclut sa notice par ces mots révélateurs: «Elle s’est éteinte paisiblement et en toute discrétion, à l’image de son existence.» Saurait-on mieux dire, s’agissant de mettre en lumière des destins communs, dans l’esprit même du livre?

Mais, qu’on le sache, le dictionnaire ne se veut pas, sociologiquement, représentatif de la société fribourgeoise. En revanche, il met en évidence, par l’accumulation des notices comparables, certaines catégories sociales bien typées, mais peu étudiées, à telle enseigne les paysans pauvres et les artisans gagne-petit, la plupart chargés d’enfants, ainsi que les marginaux, clochards, mendiants, chômeurs, éclopés et autres SDF On a le choix dans cette cour des miracles.

De manière plus générale, les couches modestes d’une société lente à sortir de la ruralité émergent du tableau. À quoi, à qui imputer cette lenteur? À la classe dirigeante hostile à l’industrialisation ou à la résistance au changement de masses paysannes attachées à leurs traditions ancestrales? On l’ignore, car le but d’un dictionnaire n’est pas de répondre à une telle question, aussi pertinente soit-elle.

L’ouvrage tient de la galerie brute de portraits inédits, parfois surprenants. Là, le lecteur est servi et découvre non sans plaisir un univers multiforme, mouvant et coloré où cohabitent bonheur et malheur, chance et malchance, dynamisme et inertie, conformisme et marginalité, vice et vertu. En un mot, on a affaire à un panthéon de gens ordinaires, mais au destin parfois extraordinaire, fruit de leur volonté de dépasser une normalité vécue comme trop peu valorisante.

Le livre détonne: il fait bon marché du primat des classes dirigeantes pour privilégier le rôle moteur des
forces et énergies venues de la «base». Là, le quantitatif le cède au qualitatif, le politique et l’économique au social. Adieu l’École des Annales, tributaire de la quantification, de la série et du graphique! Adieu aussi l’histoire événementielle traditionnelle, tributaire des institutions et de la succession tyrannique des régimes politiques. Ici, on a affaire, dans l’ordre alphabétique, à 150 histoires individuelles empruntant le solide schéma classique de la narration sans charabia. De Aeby Félix, « troglodyte à la Maigrauge» à Zwick Max, prêtre missionnaire en Iran, «terre d’islam où il n’est pas question de faire du prosélytisme», en passant par Anne Auderset, dite « la Baronne», gouvernante au service du maréchal Mac-Mahon, président de la République française, et par Ahia Zemp, impotente sans bras ni jambes qui compense son lourd handicap par d’exceptionnelles facultés intellectuelles et un courage sans égal, le lecteur, séduit, va de découverte en découverte dans un Pays de Fribourg riche en potentialités, loin des stéréotypes misérabilistes.

Montons d’un cran dans l’échelle sociale. Étonnamment oubliés, des Fribourgeois ont percé et occupé un rang élevé, que ce soit dans leur pays natal ou dans la diaspora. En voici un exemple frappant. Le Gruérien Alfred Ayer a été «un des plus célèbres philosophes britanniques» et fait chevalier par la reine Élisabeth. Comme quoi les philosophes fribourgeois ne sont pas tous thomistes! Mais, cas fréquent dans le dico, on y rencontre aussi maints représentants de notables locaux, colonne vertébrale du triple pouvoir sociologique à l’échelle villageoise, à savoir le syndic, détenteur de l’autorité politique et administrative; le curé, détenteur de l’autorité religieuse et de la science du salut; et l’instituteur ou «régent», détenteur du savoir profane et comme tel maître du pouvoir culturel.

Ce triumvirat informel contrôle la commune comme la paroisse. Dans un pays ignorant la séparation de l’Église et de l’État, l’harmonie règne le plus souvent au sein de cette trinité pendant trop longtemps exclusivement masculine. Pour le bonheur du lecteur, il est des exceptions qui confirment la règle. Tel est le cas à Progens-La Verrerie quand, à la fin du XIXe siècle, l’entreprise verrière, forte de plusieurs centaines d’ouvriers , ouvrières et enfants, fait la loi dans cette commune isolée. L’instituteur Bochud dénonce le travail de nuit, de 18 h à 2 h du matin, des enfants en âge de scolarité. La loi fédérale sur les fabriques est manifestement violée. L’affaire, dévoilée par la presse, fait grand bruit. Mais – réaction des autorités locales – Bochud est accusé de mal faire son travail, les résultats scolaires de ses élèves laissant à désirer. Vrai est-il qu’ils dorment en classe! Le dénonciateur, pourtant soutenu par Georges Python, le tout-puissant directeur de l’instruction publique du canton, voit se liguer contre lui le syndic et le curé, lesquels, solidaires du patron de la verrerie, finissent par entraîner derrière eux la population, qui signe une pétition réclamant le départ du «rebelle à l’autorité». Le courageux Bochud résiste, mais, usé par un long combat, finit par démissionner.

Vu son succès, ce livre agréable et parfois déjanté est, dit-on, bientôt épuisé et devrait connaître une seconde édition. Une édition qu’on souhaite fortement augmentée, tant semble grand le nombre d’anonymes, d’inconnus et d’oubliés encore à découvrir. Il devrait aussi servir d’exemple à d’autres cantons que celui de Fribourg. Nul doute que Vaud ne regorge d’une pléiade de méconnus!

Zitierweise:
Georges Andrey: AA.VV.: Fribourgeois. Un dictionnaire des anonymes, des inconnus, des oubliés, 1840-2016, Fribourg: Société d’histoire du canton de Fribourg, 2016. Zuerst erschienen in: Revue historique vaudoise, tome 125, 2017, p. 269-270.

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Beiträger
Zuerst veröffentlicht in

Revue historique vaudoise, tome 125, 2017, p. 269-270.

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